PALÉOGEOGRAPHIE ALPINE ET ORIGINE DES BASSINS DE LA MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE
Alain Coutelle
UBO, Département des Sciences de la Terre (UMR 6538), CS 93837 - Brest Cedex 3 France - coutelle@univ-brest.fr
Résumé
L’assimilation de la dynamique de la Chaîne Alpine de la Méditerranée Occidentale à celle d’un système d’arc insulaire, pose problème.
Ainsi, un réexamen de la signification du volcanisme néogène de l’Afrique du Nord, amène à lui retirer sa qualité supposée de volcanis-
me d’arc. Cet acquis incite à revoir d’autres points du modèle et en particulier, la paléogéographie qu’il sous-entend. En se référant aux
seules affinités stratigraphiques, on est ainsi conduit à rattacher l’”arc” du modèle non pas à l’Ibérie-Europe, mais à l’Afrique-Apulie, ce
qui n’est pas non plus favorable au modèle.
Mots clés: tectonics, palaeogeography, Western Mediterranean
Rapp. Comm. int. Mer Médit., 37,2004
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Introduction
De nombreuses hypothèses ont été proposées pour expliquer la for-
mation des bassins de la Méditerranée Occidentale. Parmi ces propo-
sitions, la plus en vogue, assimile les bassins marins actuels à un
bassin d’arrière-arc insulaire et la chaîne alpine à un prisme d’accré-
tion d’avant-arc. Le rôle de la fosse avant-arc serait tenu par les
anciens bassins de ?yschs dont la disparition par subduction de leur
soubassement océanique, aurait permis l’ouverture des bassins
actuels.
Une publication récente (1) a montré que l’un des argument
majeurs pour ce type de modélisation ne tenait pas. Le volcanisme lit-
toral d’Afrique du Nord supposé caractériser l’arc insulaire alpin,
donc la plaque supérieure, est en fait le produit de fusions ponctuelles
de la plaque africaine, c’est-à-dire de la plaque inférieure. D’autres
arguments, structuraux, chronologiques, etc., peuvent être opposés à
ce type de modèle. En particulier, il implique une paléogéographie qui
n’est pas la plus probable. C’est cet aspect qui va nous retenir main-
tenant.
Paléogéographie “plaquiste” de la Méditerranée occidentale
Ce modèle, que j’appellerai “plaquiste” pour faire simple, admet
qu’avant les rapprochements cénozoïques, la paléogéographie de la
Méditerranée occidentale, s’organisait de la manière suivante:
- du coté européen, et selon une direction grossièrement NE-SW,
s’étendaient les domaines ibérique, baléare, corso-sarde, briançon-
nais;
- à ces territoires s’accolaient, au SE, un domaine médian, qui com-
prenait les domaines à socle continental et couverture carbonatée,
bético-rifain, kabyle, péloritain, calabrais et prépiémontais;
- cette lanière était elle-même bordée par une fosse de ?yschs, rifo-
bétiques au SW, puis kabyles, péloritains, calabrais, ligures et enfin
piémontais vers le NE;
- la bordure méridionale de ce sillon était formée par les marges
continentales de l’Afrique et de l’Apulie.
A la fin du Crétacé, ce dispositif soumis à un serrage N-S, s’adap-
te aux nouvelles contraintes grâce à une subduction à pendage nord,
apparue à la jonction entre la sillon des ?yschs et le domaine médian.
Par la suite, à partir de l’Oligocène, le renforcement de cette subduc-
tion amène la résorption complète du sillon des ?yschs et l’apparition
de nouveaux bassins à fond océanique entre le domaine européen et le
domaine médian, devenu un arc insulaire.
Cette paléogéographie s’accorde avec celle proposée par certains
auteurs travaillant en Afrique du Nord, pour qui tous les ?yschs magh-
rébins s.l. se sont déposés dans un même bassin, “externe” par rapport
aux domaines à socle et couverture calcaire. En Algérie cette origine
est dite “citra-kabyle”.
Une autre paléogéographie est possible.
Plus ancienne, l’idée que certains ?yschs aient une origine “ultra-
kabyle”, ou encore “interne”, procède d’une autre démarche. Il existe
en effet, sur toutes les unités à socle et couverture calcaire, une cou-
verture tectonique de ?yschs bien particuliers avec un Crétacé dislo-
qué à faciès chaotique dit “argille scagliose” en Italie et un
Cénozoïque à faciès de pélites bariolées et grès micacés, connus de
Gibraltar à la Ligurie. La vergence générale vers l’Afrique des nappes
néogènes, impose l’origine “interne” ou “ultra-domaine médian” de
ces ?yschs. Dans l’autre cas de figure, on est obligé d’admettre que
ces unités hautes de ?yschs se sont mises en place du S vers le N,
contrairement à toutes les autres unités et ceci, sans aucune preuve
tectonique. D’autre part, cette paléogéographie pose problème pour le
raccordement à la fosse des ?yschs alpins, obligeant à un relais trans-
versal mal argumenté. En outre, l’alimentation de la fosse des ?yschs
en matériel provenant des socles et de leur couverture est difficile, les
détritus devant traverser des zones à sédimentation exclusivement
pélagique. Enfin, cette paléogéographie solidarise l’Apulie et
l’Afrique, alors que cela ne doit pas être car le décalage latéral de
l’Afrique admis par les cinématiciens, de l’ordre du millier de kilo-
mètres, conduirait à donner à l’océan alpin une largeur excessive, tout
en situant l’Apulie beaucoup trop à l’E par rapport à l’Europe. Un
article, assez ancien (2) a fait le point sur ces débats sans que les
choses aient beaucoup bougé depuis.
Dans le contexte d’une reprise de la discussion sur ces questions,
suite aux travaux récents portant sur la signification du volcanisme
d’Afrique du Nord, il est apparu nécessaire de reprendre le dossier de
la stratigraphie des séries de la couverture carbonatée du domaine
médian ainsi que la question de l’alimentation des ?yschs.
1 - Les séries les plus typiques du domaine médian, à matériel péla-
gique méso-cénozoïque, présentent des caractères stratigraphiques qui
les rapprochent des séries telliennes internes, mais qui, surtout, les
identifient presque aux séries de la nappe toscane. Elles n’ont, par
contre, pas grand’chose de commun avec les séries bétiques et sardes.
Sur ces critères, on doit donc logiquement rattacher le domaine
médian à la bordure nord-ouest de l’Apulie. D’autres unités, généra-
lement en écailles tectoniques au S, et sous, les unités à matériel péla-
gique, ont une stratigraphie très différente. En effet, du Jurassique
moyen à l’Eocène, tous les étages sont détritiques, ce qui les rap-
proche des ?yschs. Elles présentent parfois des dispositifs structuraux
particuliers “en ?eur” et portent souvent la marque d’un faible méta-
morphisme. De telles unités, sont de bonnes candidates pour provenir
de la zone de décrochement entre l’Afrique et l’Apulie.
2- S’agissant des ?yschs, le rattachement du domaine médian à
l’Apulie, permet de localiser le bassin des ?yschs “internes” dans le
prolongement direct, vers le SW, du sillon des ?yschs liguro-piémon-
tais. A sa terminaison sud, ce bassin se raccordait obliquement à un
autre sillon, orienté E-W, qui correspondait à la zone de contact cou-
lissante de l’Afrique avec les autres domaines plus septentrionaux.
C’est le sillon “externe”. Une telle disposition règle les difficultés
d’alimentation et d’indentation de faciès entre ?yschs.
Conclusion
Naturellement, cette paléogéographie ne s’accorde pas du tout avec
celle qui convient au modèle “plaquiste”. On a vu qu’il en allait de
même pour le volcanisme d’Afrique du Nord. Ce modèle est donc à
revoir.
Références
1-Maury R.C., Fourcade S., Coulon C., El Azzouzi M., Bellon H., Cou-
telle A., Ouabadi A., Semroud B., Megartsi M., Cotten J., Belanteur O.,
Louni-Hacini A., Piqué A., Capdevilla R., Hernandez J. et Réhault J.P.,
2000. Post-collisional neogene magmatism of the Maghreb margin: a
consequence of slab breakoff. C. R. Acad. Sc.,Paris, t. 331, sér. IIa: 159-
173.
2 -Coutelle A. et Delteil J., 1989. La suture alpine en Méditerrannée occi-
dentale. Remarques sur une synthèse récente et rappel d’une autre concep-
tion, et Bouillin J.P., 1989. Réponse au commentaire de A. Coutelle et J.
Delteil “La suture alpine en Méditerrannée occidentale. Remarques sur
une synthèse récente et rappel d’une autre conception”. Bull. Soc. géol.
France, 8°sér., t.V: 859-867.