Rapp. Comm. int. Mer Médit., 36,2001
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Au cours de la dernière décennie, le cycle sexuel de M. galloprovincialis, qui
montre une très grande variabilité en fonction de la position géographique des popu-
lations, n’a été que peu étudié. Sur les côtes africaines, ces études ont concerné pour
l’essentiel l’Afrique du sud (1) et l’Algérie (2, 3). En Tunisie, l’espèce se trouve sur
les côtes nord et nord-est avec une densité maximale dans le lac de Bizerte. Bien que
le cycle sexuel de cette dernière population ait été analysé par Lubet et al.(4), comp-
te tenu de l’importance aquacole de ce Mytilidé et de sa situation en limite est de son
aire de répartition naturelle, il nous a semblé intéressant de le réétudier. En effet, le
développement important de l’urbanisation et de l’industrialisation dans la région et
par conséquent les ?uctuations de certains paramètres environnementaux sont sus-
ceptibles de modifier l’activité reproductrice de cette population soumise par exemple
aux polluants métalliques venant des chantiers de construction navale et de la sur-
charge en matière organique provenant des principales agglomérations.
Matériel et méthodes
L’étude histologique a été réalisée mensuellement d’octobre 1994 à septembre
1996, sur un lot d’une trentaine d’individus, en provenance chacun de 3 stations dif-
férentes, et deux fois par mois durant les périodes de forte activité gonadique. Les
techniques histologiques utilisées sont celles de Martoja (5). La richesse du milieu en
nutriments, évaluée par la teneur en chlorophylle a(6) et la température, prise in situ,
sont mesurées tous les 15jours.
Résultats
Le cycle sexuel est caractérisé selon l’échelle proposée par Lubet (7) (tab.1). Il se
déroule de manière similaire dans chaque station. L’activité gonadique débute en sep-
tembre et prend fin vers juin. Une émission gamétique principale est enregistrée en
décembre. Les restaurations gonadiques qui la suivent sont d’amplitude plus ou
moins grande et donnent lieu à de faibles émissions gamétiques. Le repos sexuel est
limité, pour la majorité des individus, aux mois de juillet et août, et ne concerne pas
toute la population (environ 5% des individus ne vident pas complètement leur gona-
de). Des différences entre les deux cycles sont observées mais n’affectent pas le
modèle général de reproduction. On note une précocité de l’activité sexuelle la pre-
mière année pour les stades I, II, III, IIIA1 et IIIA2. Le décalage par rapport au second
cycle est plus réduit, en particulier pour les mâles, à partir du stade IIIB. L’écart
devient moins important au stade IIIC mais conduit à la fin de l’activité, dès le mois
de mai pour certains individus, caractérisant ainsi la seconde période par une préco-
cité et un rallongement du stade de repos sexuel
.
Discussion
Seed and Suchanek (8) mettent en évidence la remarquable plasticité du genre
Mytilusà ajuster sa stratégie de reproduction en fonction des conditions de l’environ-
nement. Cependant, nous observons que les variations des paramètres physico-chi-
miques n’in?uencent pas au cours d’une même année, la succession des différents
stades sexuels dans les 3 stations. L’action des facteurs du milieu s’effectuerait à plus
grande échelle, par suite de variations importantes touchant une même population ou
suivant la latitude. Le premier argument peut être conforté par la comparaison de nos
résultats avec ceux de Lubet et al.(4). Ces travaux mettent en évidence une durée de
repos sexuel de 3 mois (juillet, août et septembre), alors que la reprise de l’activité
sexuelle (stade I) est enregistrée dans notre cas, dès septembre. Le décalage entre les
études se maintient au cours des stades IIIA1, IIIA2 et IIIB. Il est réduit durant les
stades IIIC et IIIA2. Les périodes de déroulement du stade IIID sont similaires avec
les nôtres aux cours du 1er cycle (mi-mai à fin mai) mais ce stade est plus précoce
durant le 2ème cycle (fin mars à fin avril). La température de l’eau, dans les 3 stations,
varie entre 11,1°C et 28,2°C. Le pic d’émission gamétique observé au mois de
décembre, correspond à une période au cours de laquelle la température enregistrée
est de l’ordre de 15 °C. Les températures relevées atteignent, pendant la période d’ac-
tivité sexuelle, les valeurs maximales de 21°C à 21,1°C en mai 1996 permettant de
maintenir une activité gonadique bien qu’elles se situent en dehors de la limite supé-
rieure de la zone thermique sensible de gamétogenèse (18-20 °C) définie par Lubet et
Aloui (9). Ces fortes températures dépassant les limites thermiques supérieures dès
mai, alors que celles-ci ne sont normalement atteintes qu’en juin durant la première
période, expliquent la précocité du repos sexuel au cours de la deuxième période
d’étude. Les températures élevées du lac de Bizerte sont favorables au déroulement
des processus de gamétogenèse. Le fait que les limites inférieures de température (5,5
à 8°C) ne soient jamais atteintes, expliquerait non seulement le maintien sur plusieurs
mois de l’activité sexuelle mais aussi l’importance des phases de rematuration. Parmi
les facteurs in?uençant la reproduction, la disponibilité des nutriments joue, selon de
nombreux auteurs (6, 10) un rôle important du fait qu’il existe chez les Mytilidés une
corrélation significative entre le développement du tissu de réserve, sa richesse en
glycogène et l’intensité de l’effort de reproduction. A ce propos, Lorenzen (6) note
chezM. edulisdes émissions gamétiques répétées sur plusieurs mois dans les zones
à haute productivité primaire. Les eaux du lac sont caractérisées par une teneur rela-
tivement élevée de chlorophylle adurant toute l’année. Les moyennes enregistrées
sur les deux périodes d’étude montrent une teneur significativement plus importante
dans certains sites : 1,14 mg/ m
3
± 0,57, par rapport à d’autres : 0,73 mg/m
3
± 0,34.
Même si Lubet et al.(4) ne font pas état de la teneur en chlorophylle a du milieu, il
est certain que la pollution d’origine industrielle et urbaine s’est accentuée ces der-
nières années et a eu pour conséquence l’enrichissement du milieu en matières orga-
niques, ce qui pourrait expliquer les variations du cycle sexuel depuis leurs travaux.
Les moules du lac de Bizerte trouvent la quantité de nourriture et la température
nécessaires au maintien de l’activité sexuelle durant presque toute l’année. De plus,
les températures élevées de ces eaux stimuleraient la reminéralisation des matières
organiques et favoriseraient la production primaire disponible pour les bivalves. Les
Mytilidés possèdent une grande aptitude à adapter leur cycle reproducteur aux ?uc-
tuations des conditions externes (7). Les différences que nous observons d’une part,
entre les 2 périodes étudiées et, d’autre part, par rapport aux résultats de Lubet at al.
(4) montrent que M. galloprovincialisest en mesure d’ajuster ses besoins physiolo-
giques aux ?uctuations environnementales à l’échelle annuelle, au sein d’une même
population, et à long terme, par suite de variations importantes des conditions du
milieu et en particulier l’enrichissement du milieu en nutriments. Ces apports d’ori-
gine anthropique pourraient, jusqu'à un certain seuil, améliorer les conditions phy-
siologiques des moules et compenser l’action du stress imposé par les variations des
conditions du milieu (11). Cette compensation ne se fait que dans certaines limites de
température et dans des conditions trophiques particulières telles que celles qui pré-
valent dans le lac de Bizerte. M. galloprovincialiss’adapte aux conditions du milieu
et maintient l’effort de reproduction malgré des températures supérieures à 19°C sur
plus de la moitié de l’année, alors que celles-ci constituent des facteurs limitants de
l’extension de l’espèce vers le sud (12). L’intense activité sexuelle et l’importance des
émissions gamétiques est une stratégie offrant la possibilité aux larves de trouver des
conditions favorables à leur survie sur une période très étendue. Par ailleurs, les
conditions moins favorables de teneurs de milieux en matières nutritives, notamment
en mer ouverte, en dehors du Lac de Bizerte, ainsi que l’augmentation de la tempé-
rature plus au sud de la Tunisie semblent constituer des limites à l’expansion de l’es-
pèce au-delà du Cap Bon.
Références
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ves ), R 
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CYCLE SEXUEL DE MYTILUS GALLOPROVINCIALIS(MOLLUSQUE, BIVALVE) À LA LIMITE 
MÉRIDIONALE DE SON AIRE DE RÉPARTITION EN MÉDITERRANÉE
Nejla Aloui-Bejaoui
1
* et Marcel Le Pennec
2
1
Institut National Agronomique, TunisTunisie - nejla.bejaoui@gnet.tn ; 
2
IUEM,Technopôle Brest-Iroise, Plouzané, France 
Résumé
Le cycle sexuel de Mytilus galloprovincialisest étudié dans le lac de Bizerte (Tunisie) où la population se trouve à la limite méridionale
de la répartition de l’espèce en Méditerranée. Il est caractérisé par une activité quasi-continue au cours de l’année, le repos sexuel étant
limité aux mois de juillet et août. L’émission gamétique principale, enregistrée en décembre, est suivie par des restaurations gonadiques
induisant des émissions gamétiques accessoires jusqu’à mai ou juin. Les conditions thermiques et nutritives du milieu favorisent l’activi-
té sexuelle d’où l’expansion de l’espèce dans le Lac de Bizerte au-delà duquel les populations se raréfient pour disparaître totalement à
environ 150 km, à la pointe du Cap Bon.
Mots-clés : Mollusca, Bivalves, Reproduction.
Stade gonadique
1ère période 
2ème période 
(oct.1994-sep.95)(oct.1995-sep.96)
Stade  0
: repos sexuelApartir de début juin;  juillet de mai à fin août
et août (majorité des individus)
Stade I
: reprise de l’activité sexuelle 
début à mi-septembre
fin septembre
Stade II
: progression de
la gamétogenèse
fin septembre
octobre
Stade III
: période de reproduction
IIIA1
: gamètes prématuresoctobre
octobre à novembre
IIIA2
: gamètes maturesnovembre à mi-décembrenovembre à décembre
B
: émission des gamètesde mi- à fin décembrede fin décembre à janvier
(mâles), février(femelles)
C
: phase de restaurationde janvier à avril
de janvier à mars
Tableau 1 : Succession des stades gonadiques au cours du cycle sexuel de
M.galloprovincialisdans le lac de Bizerte durant les deux périodes d’étude.